Celui qui tient la plume (ou comment bien faire une mappemonde)

Je travaille en ce moment sur la réalisation de mappemondes. Ce travail m’a donné l’occasion de me confronter à certaines « règles ». Comme tout média d’information, la cartographie n’échappe pas au bon vouloir de son rédacteur qui reste seul maître à bord. Si certaines règles évidentes sont à respecter, d’autres sont beaucoup plus libres.

Les règles évidentes

Une carte étant une représentation graphique d’une réalité géographique et physique, elle doit en théorie être précise.

Cependant, cette précision n’est pas obligatoire. À l’échelle du monde, déplacer une ville de quelques kilomètres pour permettre une meilleure lisibilité n’est pas interdit et reste à la discrétion du cartographe. Voyez l’exemple suivant tiré de la construction de ma mappemonde : sur la représentation d’une partie de l’Amérique du Sud, je voulais représenter à la fois Buenos Aires, capitale de l’Argentine, Rosario, troisième ville d’Argentine par la population, La Plata, cinquième ville d’Argentine et capitale de la Province de Buenos Aires, tout en laissant de la place libre en dessous (éventuellement pour le gros « Argentine », nom du pays).

J’ai pris soin d’écarter légèrement de leur emplacement réel Rosario et La Plata, La Plata se retrouvant 20 km plus à l’est. C’est indécelable sans coordonnées GPS. Le but de cette mappemonde n’étant pas de servir de base précise à un traitement de type SIG (système d’information géographique), je me permets cette variation de position. Dans ce cas, il s’agit d’un choix et non d’une erreur à l’inverse des exemples suivants.

Il est évident que placer Toulouse au milieu de la Suisse, Hong-Kong au Brésil ou confondre Autriche et Tchéquie sont des erreurs. C’est d’ailleurs ces erreurs réelles qui ont induit bien des railleries envers certaines chaînes de télévision.

 

Mais ces petites modifications indécelables ne sont rien en fonction de choix réels que doit se poser le cartographe : les frontières et les noms !

Les frontières

On pourrait penser que les frontières entre les pays sont figées à l’exception peut-être de quelques obscurs pays africains. La réalité est toute autre puisque plusieurs frontières françaises ne sont pas figées. C’est le cas généralement en outre-mer, il existe un contentieux entre la France et le Canada au large de Saint-Pierre-et-Miquelon autour de l’île Verte. Mais même en France métropolitaine, la frontière entre la France et l’Italie n’est pas la même dans la zone du Mont-Blanc suivant le côté des Alpes duquel on se trouve :

Suivant qu’on soit français ou italien, un tracé s’impose. Si on est ni l’un ni l’autre, un choix est à faire : le choix du cartographe et ce choix implique de fait une prise de position.

Et c’est ce choix que je vais illustrer pour toutes les situations suivantes.

Cet exemple du Mont-Blanc n’a pas beaucoup de répercussion géopolitique et à l’échelle macro d’une mappemonde, il n’a même pas à être traité. Mais qu’en est-il des frontières par exemple entre l’Ukraine et la Russie au niveau de la Crimée, ou encore, existe-t-il une frontière entre la Serbie et le Kosovo ? Entre le Maroc et le Sahara-Occidental ? Entre Israël et la Palestine ? Dans ces cas, même les organismes internationaux ou les pays ne sont pas d’accord entre eux. L’Espagne n’a jamais reconnu le Kosovo alors que la France l’a fait. Les exemples de ce type sont mine de rien assez nombreux.

Les villes

Plus léger en apparence, le sujet du nom des villes fait pourtant s’arracher les cheveux à certains qui défendent bec et ongles certaines appellations au nom de batailles idéologiques. De quoi s’agit-il ? L’exemple le plus connu est Londres. Sur une carte en langue française, le nom de la capitale du Royaume-Uni est presque invariablement écrit « Londres ». Mais son nom officiel en anglais est « London », est-ce alors une erreur de l’appeler Londres ? Non, c’est un nom d’usage qui est commun et validé par le Groupe d’expert des Nations Unies pour les noms géographiques francophones et par le Journal officiel de République française. Mais ces organismes n’ont pas réponse à tout et certaines villes peuvent avoir plusieurs noms coexistant en français comme Pékin et Beijing.

L’exemple de Pékin illustre tous les noms qui ont été « francisés ». Si peu de personnes parlent encore de Lubiana pour Ljubljana (Slovénie), Léopol pour Lviv (Ukraine), Smyrne pour Izmir (Turquie) ou encore de Trémoigne pour Dortmund (Allemagne) ; certains noms à l’image de Pékin (Beijing), Munich (München) Aix-la-Chapelle (Aachen), Bois-le-Duc (’s-Hertogenbosch) ou Canton (Guangzhou) restent majoritairement utilisés. En fonction de son humeur ou de la poésie de leur nom, il est possible de les préférer même si l’usage n’est pas majoritaire. C’est ce que j’ai notamment choisi pour certaines villes comme Gothembourg (Göteborg) ou Thessalonique (Salonique).

Mais dans certains cas, le choix du nom révèle une idéologie choisie ou subie.  Nous parlions de Londres/London tout à l’heure. En Irlande-du-Nord, une ville possède deux noms : Londonderry / Derry. Le premier nom, qui fait référence à Londres est le nom choisi par les unionistes protestants (partisans du maintient de l’Irlande-du-Nord au sein du Royaume-Uni). Derry est le nom privilégié par les nationalistes catholiques (partisans du rattachement de l’Irlande-du-Nord à l’Eire).
Au Vietnam, le cas de la principale ville du pays : Hô-Chi-Minh-Ville est assez emblématique. Jusqu’en 1975 elle était nommée Saïgon puis fut rebaptisée pour honorer le révolutionnaire communiste Hô Chi Minh. Même si dans l’usage les habitants continuent de l’appeler Saïgon, tous les organismes nationaux et internationaux suivent le nouveau nom officiel. En Afrique du Sud, depuis 15 ans, de nombreux mouvements initiés par l’ANC (le parti politique ayant pour vocation de défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche) cherchent à renommer la plupart des villes ayant un nom afrikaans (langue de la minorité blanche) en leur donnant de nouveaux noms avec plus ou moins de réussite. À l’inverse d’Hô-Chi-Minh-Ville, ces nouveaux noms n’ont pas eu de validation officielle et sont souvent au cœur de batailles judiciaires en cours (notamment pour le cas de la capitale Prétoria). Choisir ces nouveaux nom révèle le choix idéologique du cartographe. J’ai choisi Hô-Chi-Minh-Ville (avec Saïgon entre parenthèse) mais j’ai laissé les anciens noms en Afrique du Sud.

Enfin, certains noms officiels sont beaucoup plus longs que leur nom d’usage. En France, c’est le cas pour certaines communes comme Cherbourg dont le nom officiel enregistré auprès de toutes les instances est « Cherbourg-en-Cotentin » ou encore Chamonix (nom officiel :  « Chamonix-Mont-Blanc » ). À l’inverse, certaines villes rajoutent des éléments à leur noms, souvent pour les distinguer d’un homonyme ou pour jouer sur le tourisme et ne sont presque connus que par ce nom, comme « Valence-d’Agen » (nom officiel : Valence) ou « Lepuix-Gy » (nom officiel : Lepuix). Néanmoins, aucune de ces villes n’apparaît généralement sur une mappemonde. Ce qui n’est pas le cas de plusieurs capitale ou villes majeures ayant un nom officiel extrêmement long pour lesquels il est inconcevable de les retranscrire entièrement sans risquer de surcharger la carte. Si le nom officiel de La Paz (Bolivie) est « Nuestra Señora de La Paz », ce n’est rien comparé à Bangkok (Thaïlande) dont le nom officiel est : « Krungthepmahanakhon Amonrattanakosin Mahintharayutthaya Mahadilokphop Noppharatratchathaniburirom Udomratchaniwetmahasathan Amonphimanawatansathit Sakkathattiyawitsanukamprasit ». Si je jouais le jeu, son nom prendrais un quart de la longueur de la carte :

Il reste en revanche deux capitales dont il est difficile de raccourcir les noms : Sri Jayawardenapura Kotte (Sri Lanka) et Bandar Seri Begawan (Brunei).

Lorsqu’il s’agit de nom de pays, l’idéologie peut-être exacerbée. Vous connaissez bien la Birmanie sous ce nom. Mais le gouvernement tente pourtant d’imposer le nom « Myanmar ». C’est ce dernier qui est le plus souvent usité en anglais d’ailleurs. Mais en France, le nom Myanmar est étroitement lié au régime dictatorial et au conflit armé qui secoue le pays ; c’est pourquoi Birmanie est toujours préféré.

Autre exemple : Taïwan. Si je souhaitais vendre mes cartes en Chine, il me serait impossible d’y parvenir en représentant Taïwan comme un pays et encore moins d’utiliser ce nom auquel je devrai préférer celui de « Taipei Chinois » pour me soumettre aux desiderata de Pékin sur cette question.

Je pourrais continuer des heures avec des exemples tout aussi polémiques sur des noms de cours-d’eau, de montagnes, de régions etc. mais je suppose que vous avez compris les choix inhérents auxquels le cartographe est confronté. Pour autant, ce n’est absolument pas désagréable de les traiter, cela renforce la culture générale et les notions de géopolitique et permet de se positionner ou de chercher la compromission. Vous verrez bientôt le rendu final dans une mappemonde qui sera une cartographie personnalisée au même titre que les autres. Car oui, plutôt que de choisir entre deux noms, pourquoi ne pas imposer le votre ? Pourquoi ne pas renommer Paris ou même un pays avec votre nom ? Ce sera possible quand cette mappemonde sera terminée.

3 réflexions sur “Celui qui tient la plume (ou comment bien faire une mappemonde)”

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